La révision de la Constitution du 11 décembre 1990 est sous les feux de l'inquiétude. Et pour cause ! Du cénacle des initiés, les texte atterrit à l'Assemblée nationale sans qu'aucun débat sérieux soit proposé aux citoyens dont on susurre pourtant défendre généreusement les intérêts. On révise donc, entre coquins et copains. Mais cette révision projetée est-elle si vitale ? On peut en douter sérieusement. Dix raisons au moins motivent un sage renoncement à l'entreprise. Ces raisons sont liées au texte et au contexte.
I – LE CONTEXTE
Le
contexte
régional est loin d’encourager une révision dans un Etat africain
quelconque de la loi fondamentale. Le contexte national n’est pas non
plus propice à une telle entreprise.
A – Le contexte régional : Aucun modèle de révision constitutionnelle
1ère raison : Sauf exception, toutes les révisions ont conduit à une crise politique aiguë ou à un coup d’Etat
Le Mali en fournit l'exemple le plus récent. La rébellion touarègue et
l’insurrection Al Qaeda pour le Maghreb Islamique (AQMI) dans le nord du
pays ne constituent pas les raisons exclusives du drame
politique qui afflige ce pays longtemps cité en exemple avec le
Bénin. On n’oubliera pas que dans la corbeille des causes, se trouvent,
en bonne place, la tentative de révision de la Constitution
malienne. Le projet de révision, qui, selon une partie de l’opinion
malienne, « fabrique un monarque », fut adopté le 2 juillet 2011 et
attendait l’onction par voie de référendum…. Le
prétexte emprunte, quasiment à l’identique, à l’initiative
béninoise : cour des comptes à instituer, institutions à moderniser etc.
Au Mali aussi, un Chef d’Etat était au-dessus de tout
soupçon (apparemment), clamant que c’était son « second et dernier mandat », attendant sagement
l’organisation d’une élection… La gémellité des expériences malienne et béninoise enseigne la prudence la plus résolue.
Il
n’y a,
hélas, pas que l’expérience malienne pour nous enseigner sagesse et
prudence. Celle, sénégalaise, qui annonça les couleurs, sinon les
couleuvres démocratiques, nous enseigne bien que même si on a
à la tête d’un Etat un agrégé ou un avocat , même si les suffrages
de l’expérience ou de l’intelligence devraient assurer un peuple de la
sagesse qui élève à la divinité, très peu d’hommes
ou de femmes politiques manquent d’être la ruine du pouvoir. On
n’insistera pas sur les mascarades réformistes de notre voisin de
l’Ouest, ni les turpitudes du même acabit de nos voisins du Nord.
La leçon doit être sue : la révision de la Constitution conduit à la
révulsion de la population. Et ce n’est pas le contexte national qui
constitue une assurance contre tous ces
risques.
B – Le contexte national : La révision de la loi qui unit est entreprise dans un contexte qui divise
Le
contexte
national balance entre une forme de collusion politique en vue de la
révision sur le terreau d’une contestation sociale continue, la
paupérisation continue des ménages, la perte de confiance des
investisseurs à l’égard du pays et l’encadrement directif de
l’espace des libertés démocratiques. Le fond du décor est fait de lois
restrictives et d’un raidissement institutionnel qui anéantit
le débat démocratique.
2ème raison : L’adoption de lois restrictives des droits et libertés publiques qui empêchent le débat démocratique
Certains
actes à caractère politique ne sont pas anodins. Le processus de
révision de la Constitution a été précédé de l’adoption d’importantes
lois dont la marque essentielle n’est pas de célébrer la
liberté et les droits individuels.
Il
s’agit, en premier lieu, de
la loi sur la lutte
contre la corruption et autres infractions connexes, adoptée le 30
août 2011, déclarée très rapidement conforme à la Constitution et
promulguée tout aussi promptement. Cette loi décide que toute
personne suspectée de corruption ou de l’une des infractions dites
connexe peut faire l’objet des mesures de surveillance et, en
particulier, de surveillance
électronique ; de mesures
d’infiltrations ; de
la levée du secret
bancaire ; de
mise sur écoute
téléphonique ; de
mesures de perquisition
approfondie et de
garde à vue
prolongée. Or,
l’organe qui,
conformément à la loi, dispose du pouvoir de suspecter et, en
quelque sorte, constitue l’autorité de suspicion, est le pouvoir
exécutif au travers de l’un de ses multiples visages :
les policiers et gendarmes officiers de police judiciaire, les
procureurs, l’autorité nationale de lutte contre la corruption etc.
Les résultats sont
déjà patents : au lendemain de la promulgation de cette loi, des
ralliements politiques aussi bien enthousiastes qu’étonnants ont été
faits au profit de la majorité qui a le pouvoir de
suspecter…
Il
s’agit, en second lieu des
restrictions de
libertés publiques abouties ou en cours : loi sur l’interdiction du
droit de la grève aux douaniers et autres corps paramilitaires, recours
introduit par Madame le Garde des sceaux en vue de
la restriction du droit de la grève aux magistrats etc.
En
conclusion, alors que la Constitution fut adoptée pendant que les
libertés étaient célébrées, on veut réviser celle-là pendant que
celles-ci sont restreintes.
3ème raison : Le raidissement de l’organe de régulation de l’accès aux médias
Cet
élément
de contexte n’est pas à négliger : l’organe régulateur est devenu un
organe d’interdiction au moyen d’une interprétation qui illustre le
raidissement des pouvoirs publics à l’égard des
droits et libertés. L’on accroit, pour ainsi dire, la frilosité et
la fébrilité des acteurs des médias ce qui, au fond, apparaît comme une
censure feinte et une restriction a priori de la liberté
d’expression. Cette discipline à la fois directive et
sanctionnatrice explique, en partie, l’absence du débat contradictoire
sur le sujet de la révision de la Constitution sur les médias
nationaux.
4ème raison : L’instabilité sociale
Les
crises
continuelles que traversent les services publics de l’éducation et
de la santé et qui saisissent tous les secteurs de la vie économiques ne
créent pas un environnement propice au débat national
qu’appelle la réforme projetée de la Constitution. Quand la rue
crie, les familles boudent et les écoles n’ouvrent que sporadiquement,
le temps est celui de l’urgence du pompier et de
l’ambulancier : éviter que l’incendie social s’étende et s’étoffe.
Poursuivre, dans ces conditions, une réforme d’une telle ampleur
relèverait d’une audace forcenée dont on n’aura pas exposé les
fins réelles.
5ème raison : L’imminence du renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle
La
course à
la révision n’est pas sans lien avec l’imminence du renouvellement
des membres de la cour constitutionnelle. Il est plus facile, en effet,
d’accorder l’onction juridictionnelle à une réforme
contestée et suspectée d’élan opportuniste par une composition
idéologiquement proche du pouvoir exécutif et dont certains membres
pourraient prétendre légitimement à exercer un second mandat.
Ils sont attendus aussi bien sur la déclaration de conformité du
texte à adopter que sur les orientations interprétatives dont l’enjeu
détermine la perpétuation de l’expérience démocratique
béninoise. Ils vont donc livrer le produit et assurer le service
après vente. En dépit de l’honorabilité et de la dignité connues des
membres de la Cour, chacun sera soumis à l’épreuve de la
loyauté. Faut-il encore les expose et à une pression et un risque si
élevés ?
Les
éléments
de contexte n’encouragent guère une révision de la loi fondamentale.
Le texte lui-même ne constitue pas une avancée démocratique.
II – LE TEXTE
A
cet égard,
il faut se garder de tout enthousiasme : ni la méthode qui a présidé
à son élaboration, ni son contenu n’inspirent assurance.
A – Sur la méthode : Le secret n’assure pas le progrès
6ème raison : Une méthode d’exclusion
La
méthode ne manque pas d’intelligence : on
a fait le choix des
experts. Avec cette méthode, on peut tout se permettre : justifier
l’absence de tendances politiques dont on ne partage pas les vues ;
faire traduire par ces experts l’essentiel de ses
objectifs et perspectives ; leur faire assurer, avec l’avantage de
leur neutralité avérée ainsi que de la certitude de leur science, le
service après vente. En fait, être si loin des travaux
des experts en étant si proche… Etre si détaché tout en ayant la
maîtrise politique.
La
méthode est en même temps perverse : elle
exclut. D’abord les
politiques, dont on recueille l’avis « quand il le faut ». Ensuite
les citoyens, que l’on va consulter « comme il le faut ». Il est
rarement arrivé dans une démocratie que
l’on engage une réforme constitutionnelle en s’aliénant les
intelligences de celles et ceux dont on ne partage pas les vues. Cette
méthode de communication renforce le sentiment de perplexité et
d’inquiétude sur les véritables enjeux de la révision projetée. En
attendant le moment et le moyen de la transmission du projet, on a
préféré assurer des débats amicaux en vue de rassurer
l’opinion publique que rien de grave ne lui arrivera.
7ème raison : Un texte introuvable
Le
plus
grave, c’est l’opacité qui entoure, non seulement la méthode
choisie, mais le texte lui-même. En préparant la présente contribution,
on s’est assuré de rechercher le texte sur les sites officiels
de l’Etat : le site du gouvernement et celui de l’Assemblée
nationale. On y a vu les projets de construction
mais pas
de projet de constitution.Certains
journaux on pu
présenter dans les parutions précédentes quelques extraits du texte
discuté. Mais en fait, le texte ne se trouve, officiellement nulle part.
Les extraits présentés le sont alors que l’étude est
entamée à l’assemblée nationale. Cette opacité vicie
considérablement la qualité du projet. C’est sans doute en raison de ce
que le contenu paraît fort discutable.
B – Le contenu
8ème raison : Des avancées en trompe l’œil en vue d’un déséquilibre fondamental des pouvoirs
L’on
avance,
pour convaincre de la pertinence de la révision des avancées qui
eussent tu toute résistance. Mais c’est pour mieux faire passer la
pilule de la redistribution fonctionnelle des pouvoirs en
faveur de l’exécutif et de la Cour constitutionnelle. A l’arrivée,
le régime perd de sa cohérence et de sa stature.
Des avancées en trompe l’œil. Elles
ont pour nom
l’abolition de la peine de mort, la limitation de la durée de la
détention préventive, la sédimentation de la Commission électorale
nationale autonome (CENA) dans la Constitution etc. Installer
ces préoccupations dans le lit constitutionnel est sans doute
confortable et réconfortant. Mais ce confort est bien somptuaire car, il
n’y a pas que la voie constitutionnelle pour renforcer les
droits des citoyens. On signalera que le code pénal
est le cadre idéal pour recevoir l’abolition de la peine de mort et
l’imprescriptibilité des
crimes économiques. Le code de procédure pénale est l’instrument
idéal pour poser la limitation de la détention préventive. Or, ces deux
textes sont soumis au processus de réforme législative
depuis plus de dix ans. S’agissant, en particulier du code pénal, il
fait l’objet, quant à son contenu, d’un dépouillage aussi constant que
consistant. La loi sur la corruption en constitue
l’illustration manifeste. De la même manière, l’on n’a pas eu besoin
d’une révision de la Constitution avant d’instituer, par voie
législative, le médiateur de la République. En ce qui concerne
la CENA, si le souci est la professionnalisation et la permanence,
il n’y a pas que la Constitution pour les rendre effectives, d’autant
qu’on annonce l’adoption d’un code électoral qui est le
cadre idéal pour recevoir une telle institution. Seule la création
de la Cour des comptes paraît suggérer une réforme de la Constitution.
Mais là encore, ce n’est point absolu. Sauf à confondre
la fin avec le moyen. Ce que recherche l’organisation communautaire,
c’est la consécration et la consolidation d’une juridiction des comptes
indépendante. Or, l’indépendance n’est pas la matière
première du marbre constitutionnel. On a bien vu, un peu partout en
Afrique des Cours dont l’indépendance n’est traduite que par une
affiliation avérée au profit d’un pouvoir et une incompétence
notoire, certaines ne rendant, par ailleurs, que des décisions
d’incompétence. On aurait satisfait à la norme communautaire en rendant
la chambre indépendante, au travers des moyens et des
animateurs. On voit bien que la révision n’est pas aussi vitale
qu’on le suggère. On réalise encore que dans le fond, elle consacre un
déséquilibre profond du régime institué.
Un déséquilibre profond du régime présidentiel. Dans
le fond, le pouvoir
exécutif se trouve renforcé. En premier lieu, l’Assemblée nationale
va devoir payer son « agitation ». Si la réforme aboutit, elle ne sera
plus, avec le Président de la République,
l’une des deux institutions à avoir l’initiative des lois. Le
citoyen acquerra un pouvoir de proposition en matière législative et
verra étendre son pouvoir de décision par voie de référendum. Ce
n’est, en soi, pas une mauvaise proposition. Mais en fait, c’est le
pouvoir législatif qui est restreint sans que l’on ne s’assure, dans les
faits, qu’une telle orientation a les chances de
l’effectivité. Même en ce qui concerne le vote des lois, l’Assemblée
nationale sera désormais appelée à délibérer « en priorité » sur les
projets de lois. Par ailleurs, le texte proposé
donne à la Cour constitutionnelle le pouvoir de suppléance au refus
des députés d’autoriser la ratification des accords de prêt. Le nouvel
article 108 disposant que : « Les
autorisations de ratification des accords de prêts sont délibérés
dans un délai de deux (2) mois au maximum après leur transmission au
Bureau de l’Assemblée nationale. Passé ce délai, la ratification intervient sur décision de la Cour constitutionnelle saisie
par le Président de la République ».
Le parlement perd le
monopole du débat politique institutionnel et va devoir partager
davantage le droit d’initiative et le pouvoir de décider en matière
législative.
En
deuxième
lieu, le pouvoir judiciaire va payer son « insoumission » au
« premier magistrat ». On assistera ainsi à l’éclatement de la Cour
suprême par voie de création d’une Cour des
comptes. La Cour suprême ne demeurera la plus haute juridiction de
l’Etat qu’en matière administrative et judiciaire. Bien plus, « les actes et décisions de justice présumés
inconstitutionnels »
seront désormais
soumis au contrôle de constitutionnalité de la Cour
constitutionnelle : on ne finit pas avec les voies de recours. On en
rajoute une autre, que l’on n’a pas pris soin de qualifier, de fixer
le contenu ou le régime juridique. On soumet encore la justice et
son temps aux rudes épreuves de l’incertitude.
Par ailleurs, les principes
d’inamovibilité et d’indépendance des magistrats seront fortement
affectés. Le domaine de l’indépendance des juges est réduit : « les
juges sont indépendants dans
la conduite de leur dossier et le prononcé de leurs décisions » (art. 127 al.
1er in fine). Celui de l’inamovibilité pourra être « amovible » : « les magistrats du siège sont inamovibles sauf
insuffisance, faute professionnelle ou atteinte à la justice » (art. 127 al. 2,
nous avons souligné).
En
troisième
lieu, en dehors de la Cour constitutionnelle, les autres
institutions n’ont pas, en revanche, gagné sur le terrain perdu par
l’Assemblée nationale et la Cour suprême. Les Présidents de la Cour
suprême, de la Cour des comptes, de la Haute autorité de
l’audiovisuel et de la communication, du Haut conseil de la République
ainsi que le Médiateur de la République seront nommés par le
président de la République. Le régime présidentiel se désintègre en
se présidentialisant davantage. Rien ne justifie une telle orientation :
ni au plan sociologique, ni au plan économique.
On peut, néanmoins, tenter une explication : la résurgence de la
thèse développementaliste.
9ème raison : La résurgence de la philosophie développementaliste
Cette
thèse,
soutenue au lendemain des indépendances africaines voudrait que
l’Afrique a moins besoin de garantir les droits politiques et
individuels que de satisfaire les droits sociaux. On voit bien là où
elle a conduit : création des centres privation de la liberté
individuelle, privation massive des droits. Cette thèse dite
développementaliste n’a surtout rien développé. Elle a plutôt tout
détruit dans le silence et la souffrance. Or, dès le début du
premier mandat de Monsieur YAYI Boni, cette thèse renaît de ses cendres.
On a vu, au gré des voyages dans les Etats de l’Asie du
Sud-Est, les autorités gouvernementales célébrées les régimes
politiques qui ont produit le développement constaté. On les a vus
surtout soutenir que des décennies de célébration des droits
civils et politiques n’ont pas augmenté le niveau de vie économique
du Bénin. Certains ont même articulé qu’il fallait mettre entre
parenthèse la démocratie libérale afin que le Bénin avançât au
plan socio-économique. Si la leçon du printemps arabe a rendu
discret les thuriféraires du régime sur ce terrain, la révision de la
Constitution agrège leurs vues dans le texte proposé. Or, c’est
une leçon de l’histoire que nul ne peut épanouir un être humain en
le privant de ces droits.
Conclusion
10ème raison : Il faut préserver l’exception béninoise !
Ce
qui reste
dans la sous-région, c’est l’expérience béninoise, aux côtés de
celle du Ghana. Il faut absolument la préserver. Le Sénégal vient
d’allumer la flamme de l’espérance. Il la tend, fiévreusement, au
Bénin. Nous devons savoir la recevoir à nouveau. Nous aurons
rassuré, et nos compatriotes, et l’Afrique, et le monde. Pandore vient à
nous, avec sa belle boîte remplie de promesses
révisionnistes. Accueillons-là, gardons-là, débattons-en. Mais
sachons ne pas l’ouvrir. Donnons à Prométhée la joie de nous préférer et
à Dieu, dans sa Bonté infinie, plus de raisons de nous
protéger : Ne révisons pas notre Constitution.
Professeur Joseph DJOGBENOU, Agrégé des facultés de droit
Déclaration faite le 26 mars 2012
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